DE LA TELECONSULTATION AU TELESOIN : EMERGENCE & PERSPECTIVE D’UNE NOUVELLE PRATIQUE EN MASSO-KINESITHERAPIE AU CHRU DE NANCY
Auteur : Lionel CROCI* CS MK
Collaborateurs : Y. VAUGENOT, ** L. DAUL, E. DARDAINE, E. FLAUS, H. MANGIN, équipe MK du Pôle de Rééducation - CHRU Nancy
Marie-Frédérique FERRY***CSS, Pr J. PAYSANT **** Chef de Pôle et de service du Pôle de Rééducation - CHRU Nancy
Pr F. SIRVEAUX Chef du pôle Lorrain de chirurgie de l’appareil locomoteur - CHRU Nancy
INTRODUCTION
La chirurgie ambulatoire se développe de plus en plus depuis plusieurs années. La prise en charge repose sur une organisation structurée à travers un parcours de soin. Cette chirurgie répond à la qualité et sécurité des soins, en respectant un modèle socio-économique.
La chirurgie ambulatoire étant vaste, seule la prise en charge en masso-kinésithérapie des arthroscopies d’épaule (réparation des coiffes des rotateurs et acromioplasties) sera relatée.
Habituellement pour cette chirurgie, les patients bénéficient d’un protocole d’auto - rééducation réalisé par les kinésithérapeutes (MK) mis en place en pré ou post-opératoire immédiat. Ce protocole a pour but d’assurer la récupération progressive des amplitudes de l’épaule, la diminution des douleurs et des gênes associées aux activités de la vie quotidienne. Le MK présente et explique ce programme le jour de l’intervention tout en s’assurant de la bonne compréhension des consignes, afin de rendre acteur les patients, en vue de les placer en totale autonomie rééducative.
Malgré notre expérience clinique et selon l’heure de l’intervention, nous avons pu constater plusieurs difficultés : les patients ne sont pas toujours réceptifs ou en capacité́ de l’être durant la période post-anesthésie, en raison de leur anxiété, de symptômes post-opératoires et/ou post-anesthésiques fréquents (nausée, somnolence, douleur) ; autant de points susceptibles de diminuer leur attention, leur capacité d’intégration et de compréhension. Ces aléas amènent certains patients à recontacter par téléphone (du fait de l’éloignement géographique) les kinésithérapeutes du service d’orthopédie afin de s’assurer de la bonne compréhension des consignes.
Pour répondre au mieux aux demandes des patients, le projet de téléconsultation (TLC) se met en place à la demande du chef de service d’orthopédie et de traumatologie. Il souhaite développer ce nouveau projet avec le pôle de rééducation pour répondre à la demande des patients et compléter cette TCL par un BDK nécessaire à sa consultation.
La e-santé est définie par l’OMS comme l’ensemble des « services du numérique au service du bien-être de la personne », et « l’utilisation des outils de production, de transmissions, de gestion et de partage d’informations numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-sociales ». La télémédecine, outil contemporain appuyé par la HAS, met en relation un patient avec un ou des professionnels de santé́ tout en évitant les contraintes de temps et/ou d’éloignement géographique. D’après l’article 78 de la loi HPST de 2009, la télémédecine « est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication ». Elle permet de réaliser des diagnostics, de la prévention chez des patients jugés à risque, de prescrire des actes ou des produits, ou encore de réaliser un suivi post- opératoire. Le télésoin est défini par l’article L6316-2 du Code de la Santé Publique comme « une forme de pratique des soins à distance » qui « permet de mettre en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l’exercice de leurs compétences ». Il permet à des professionnels de santé́ tels que des MK de réaliser à distance, des séances « de rééducation de maladies respiratoires » ou encore « de rééducation d’un membre et de sa racine » par exemple, mais également de réaliser des bilans, sans que le patient n’ait à se déplacer mais tout en tenant compte de son environnement et ainsi d’adapter sa prise en charge.
Nous avons construit un bilan MK spécifique à la TLC. La réalisation de ce bilan spécifique deviendra une partie du télésoin et sera codé en TLS. Les éléments du bilan MK issus du TLS alimentent les consultations chirurgicales post-opératoires, facilitant le suivi et la continuité́ des soins. Les principaux enjeux de cette démarche sont l'amélioration du suivi de l’autorééducation post-opératoire, le contact avec le patient (rassurer, conforter, conseiller, corriger, réorienter vers un professionnel de santé si nécessaire) : favoriser l’observance.La réforme « Ma santé 2022 » adoptée en 2019 a pour objectif, entre autres, de faire du numérique un atout pour le partage de l’information en santé et l’évolution des pratiques.
C’est grâce à une coordination pluridisciplinaire (chirurgien, IDE de parcours et du service ambulatoire, kinésithérapeutes, et secrétariats des pôles de rééducation et locomoteur, administrations) que tous les éléments de la TLC ont vu le jour rapidement, renforçant le lien quotidien et la relation de confiance entre le chirurgien et la rééducation.
Pour ce faire, nous devons maitriser l’outil numérique (utilisation de la plateforme de TLC connue des services du CHRU), préparer un bilan adapté au TLS de kinésithérapie destiné à être le fil conducteur de l’appel, et enfin, réaliser les rendez-vous dans des conditions optimales.
MATERIEL & METHODE
Le promoteur e-santé retenu par l’institution propose son service de télémédecine. Son logiciel constitue la plateforme de TLC qui est agréée « hébergeur de données de santé », rendant possible cette réalisation concrète des consultations sécurisées et de bonne qualité́ audio-visuelle.
Une formation aux outils numériques utilisés reste indispensable pour une maitrise pratique.
Les étapes et points forts de l’organisation de la TLC avant l’intervention sont :
- Lors de la consultation pré-opératoire, le chirurgien décide de la nature de l’intervention et fixe une date d’intervention. Il propose et explique au patient le protocole sécuritaire de TLC. L’inclusion se fait dès lors où le chirurgien a recueilli son consentement : être âgé de plus de 18 ans, avoir un rendez-vous programmé de chirurgie ambulatoire de l’épaule, avoir donné́ et signé son consentement libre et éclairé́, posséder le matériel numérique nécessaire à la téléconsultation.
- L’IDE de parcours, informée du recueil du consentement, fixe 2 rendez-vous dans l’outil de planning partagé. Parallèlement, elle informe le secrétariat de rééducation qui retranscrit le RDV dans le planning du logiciel de TLC.
- Dès lors où le RDV est programmé dans le planning de TLC, un mail de confirmation est automatiquement envoyé au patient, qui contient diverses informations et liens qui vont lui permettre de tester son matériel informatique et ainsi se préparer à la TLC : micro, caméra, connexion internet, éléments techniques nécessaires à la bonne réalisation de la consultation. 5 minutes avant le RDV de TLC, l’envoi automatique d’un second mail « de rappel », identique au 1er, invite le patient à son RDV.
Intervention chirurgicale et temps ambulatoire : à l’issue de son opération et de son éducation à la santé à l’hôpital, le MK remet au patient une fiche d’autorééducation résumant les informations dispensées (contre-indications chirurgicales et modalités de réalisation des exercices).
A domicile, le patient a besoin d’un ordinateur muni d’une caméra ou d’un smartphone ou d’une tablette offrant une qualité de son et d’image suffisante pour réaliser l’entretien vidéo. Un débit Internet (testé avant le début de la TLC) doit être suffisant. Le patient, installé dans une pièce lumineuse, dégagée et calme, doit être visible de la taille à la tête et assis sans accoudoir. Le praticien a besoin d’un ordinateur muni d’une caméra et du logiciel de TLC, dans un environnement propice à la bonne réalisation des TLC : espace dégagé et lumineux dans un lieu calme, et respect de la confidentialité.
Le MK a connaissance du patient s’informe du dossier médical et accueille virtuellement le patient sur la plateforme de TLC. Le MK et le patient, en appel vidéo, peuvent communiquer. Après vérification de l’identitovigilance et présentation du MK, le MK rappelle le déroulement de la TLC. Lors du TLS, le MK reprend le bilan spécifique TLS construit à cet effet. Il est composé de 15 questions réparties en 5 champs distincts : intervention MK le jour de l’hospitalisation (passage du kinésithérapeute, remise de la fiche d’autorééducation), recherche d’informations complémentaires (fréquence d’utilisation de la fiche d’autorééducation, difficultés rencontrées, recherche d’informations complémentaires, intervention d’autres professionnnels) et complications post-opératoires (fièvre, signes neurologiques sensitifs et/ou moteurs, écoulement de la cicatrice, troubles vasomoteurs), douleur (ordonnance, prise d’antalgiques et efficacité à la sortie de l’établissement, recours à la cryothérapie, évaluation de douleur actuelle, gênes fonctionnelles quotidiennes), immobilisation (consignes d’immobilisation données par le chirurgien et rappelées par le MK, durée et nature de l’appareillage) et utilisation de l’épaule opérée (pratique quotidienne des exercices d’autorééducation, réintégration du membre supérieur opéré dans les activités du quotidien, évaluation fonctionnelle inspirée du score de Constant-Murley).
Ce document s’est appuyé sur le questionnaire (validé) américain d’auto-évaluation subjective de capacité fonctionnelle globale DASH (Disability of Arm Shoulder Hand) et sur l’expérience des équipes de rééducation et de chirurgie.
L’observation du mouvement permet de décrire son mode d’exécution (actif, actif aidé ou passif). Les sensations lors du mouvement sont analysées, notamment si le mouvement est douloureux (avec indication de la localisation et l’intensité).
Le MK conclut la TLC avec le patient en préconisant la conduite à tenir pour la suite de sa prise en charge, la poursuite ou non du protocole d’autorééducation et les modalités.
La fin du TLS est marquée par le résumé des principaux éléments mis en avant : le MK tient compte des demandes du patient, reformule et adapte son discours avant de conclure. Seules les informations pertinentes sont retranscrites dans le dossier informatisé du patient, notamment la douleur et l’utilisation de l’épaule opérée, sans oublier les conseils, les remarques et les indications, apportés au patient.
RESULTATS / ANALYSE
5 patients ont été inclus au protocole des épaules opérées en ambulatoire avant la crise sanitaire (un patient a été exclu suite à une casse informatique). Aucun des opérés n’a rencontré de difficulté à comprendre les exercices ou les informations de cette fiche, dont l’utilisation a été variable. Pas de contact extérieur, pas de complication depuis leur retour à domicile n’a été constaté.
Les observances médicamenteuses (antalgie), physique (cryothérapie) et rééducative (autorééducation quotidienne selon protocole) ont été notées chez tous les patients.
L’ensemble des patients a témoigné de douleurs (comprises entre 2 et 4 sur 10 à l’échelle numérique), de gênes dans au moins une ou plusieurs activités du quotidien : habillage, déplacements, toilette, repas, nuit.
Seul un patient n’avait pas assimilé les consignes post-opératoires relatives au port de son immobilisation. Le MK a refait le point sur les consignes d’immobilisation et de son sevrage.
A l’issue de la TLC, le niveau de satisfaction des patients (intervention MK durant l’hospitalisation et expérience de la TLC) est recueilli simplement au moyen d’une échelle numérique graduée de 0 à 10 : les patients sont très satisfaits (entre 9 et 10), rassurés d’être suivis et demandeurs de nouvelles TLC pour certains.
La situation sanitaire liée à la propagation du Covid19 et le confinement populationnel ont eu pour conséquence l’annulation des chirurgies programmées (y compris en ambulatoire), l’absence d’inclusion de nouveaux patients et donc la non poursuite des TLC.
Durant cette période de confinement, certains patients ont recontacté ou ont été revus par leur chirurgien. Les résultats rééducatifs n’étaient pas à la hauteur des espérances chirurgicales en l’absence de rééducation en libéral. Ces raisons sanitaires contextuelles nous ont amené à modifier nos pratiques et à adapter notre méthodologie afin de proposer un bilan MK à de nouveaux patients qui n’étaient pas éligibles au protocole originel. Face à de nouveaux besoins et en accord avec le Pôle de Rééducation, le chirurgien a inclus 6 patients hors protocole durant le 2ème trimestre 2020 : PTG (défaut de flexion active et passive du genou) ; suite opératoire d’une exérèse tumorale associée à une allogreffe osseuse, à la pose de vis et d’une plaque ainsi qu’un enclouage centro-médullaire de l’humérus (avec pour conséquence un déficit majeur d’extension du coude) ; réparation de coiffe des rotateurs après rupture massive associée à un transfert d’une partie du grand dorsal ; prothèse inversée d’épaule ; fracture du 1/3 moyen du fémur ; fracture du ¼ inférieur du fémur.
Les MK ont vu ces patients entre 2 et 3 fois dans le cadre d’un programme personnalisé d’autorééducation à l’issue d’un bilan MK.
Bien que 100% des patients aient été satisfaits de ce suivi régulier et à distance, nous restons convaincus que les mains du MK ne peuvent pas être remplacées à part entière par l’examen et le traitement par télésoin.
DISCUSSION
Une phase de rencontres, préalable indispensable à ce projet, entre responsables médicaux et administratifs, a permis d’établir la faisabilité et la réalisation d’une TLC par un MK dans le cadre d’un suivi chirurgical. Cette pré-phase a permis la consensualité des techniques rééducatives et la création des différents documents spécifiques de rééducation.
Les documents destinés au recueil du consentement des patients ont été fournis par le promoteur.
La référence et le respect des consignes du tutoriel, ainsi que la formation nous ont été très bénéfiques, évitant les aléas et anticipant les situations anxiogènes du maniement de l’outil informatique et du logiciel.
Sereins au cours des RDV, les MK ont pu répondre rapidement à quelques difficultés technologiques rencontrées chez les patients : ralentissement de l’échange et du débit Internet, réactualisation de la page Internet donnant accès à la plateforme de TLC, coupure de l’image momentanée, choix du navigateur.
Globalement, l’ensemble des patients a maitrisé les outils informatiques, malgré quelques craintes sur leurs capacités à utiliser correctement l’informatique ou sur la sécurité des données Ces craintes se sont vite estompées après lecture des différents documents mis à leur disposition et suite à la réalisation de la TLC.
L’inclusion des patients hors protocole a pris un tout autre chemin : directement par le chirurgien auprès du cadre de rééducation, en phase post-opératoire. Pour obtenir le consentement écrit du patient, nous utilisions la voie postale ou les mails pour les patients pouvant scanner et renvoyer le document signé. Les prises de RDV étaient gérées par le secrétariat de rééducation. A cette occasion, le questionnaire MK de TLC a été modifié afin de répondre au mieux aux besoins des patients. En effet, l’accès au soin de ces patients était rendu difficile en raison de leur situation géographique et du confinement. Nous leur avons permis de débuter une autorééducation dans le respect de leurs consignes chirurgicales post-opératoires.
Répondre positivement à cette nouvelle demande chirurgicale a été le moyen de confirmer l’intérêt de cet outil innovant, l’utilité de la masso-kinésithérapie et de renforcer notre expertise dans ce parcours de soins pluridisciplinaires.
Profitant de cette période sanitaire si particulière, l’arrêté du 16 avril 2020 a, sous l’impulsion de nos instances représentatives, permis à la kinésithérapie (libérale et salariée) d’accéder à la télémédecine et donc au télésoin.
CONCLUSION
L’objectif principal de cette initiative est de compléter et renforcer le parcours de soin du patient.
Les TLC ont été un succès technique par leur bon déroulement, mais surtout humain au profit de patients satisfaits et rassurés. Ce projet a suscité un grand intérêt, au regard de la valorisation récente du télésoin pour les MK dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Le contexte pandémique n’a pas freiné la mise en place de la TLC au CHRU de Nancy. Bien au contraire, cela a mis en avant l’intérêt de cette solution pour les professionnels comme pour les patients, à travers les sollicitations dont nous faisons l’objet et les retours positifs des patients.
Bien que convaincus de l’utilité pour nos patients, il est difficile d’évaluer objectivement la valeur ajoutée du bilan MK (lors d’une TLC/TLS) au parcours de soin des patients (opérés de l’épaule en ambulatoire, ainsi que les autres), en raison d’un échantillon encore trop restreint.
C’est grâce à un véritable partenariat basé sur le dialogue et la confiance entre les Pôles de l’appareil locomoteur et de Rééducation, que ces premières de TLC ont pu voir le jour en toute sérénité et intelligence, renforçant à nouveau l’intérêt de cette pratique au sein du CHRU de Nancy.
En route vers une kinésithérapie moderne, le télésoin est arrivé par la publication de l’arrêté du 16 avril 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 (10). Le TLS est indispensable pour nos patients, nécessaire pour les professionnels que nous sommes et utile à la Santé Publique.