A l’heure où nous bouclons cette lettre et alors qu’un plateau pandémique semble se confirmer, que le difficile mais précieux et salutaire confinement est prolongé jusqu’au 11 mai et que les autorités laissent envisager sous conditions un éventuel et progressif déconfinement les premières vagues de patients atteints par le CoVid19 hospitalisés plusieurs jours en services dédiés voire plusieurs semaines en réanimation, arrivent en nombre dans des services srpr, des services dédiés Covid19 voire au sein de SSR et aussi certains sont de retour à domicile.
PREMIER RETOUR D’EXPERIENCE
Vient alors le temps du RETEX, en espérant qu’une deuxième vague ne resurgisse pas, d’une toute première, rapide et donc forcément elliptique aujourd’hui, rétrospective-bilan sur les conséquences de cette Situation Sanitaire Exceptionnelle. Cette SSE a littéralement bousculé l’ensemble du secteur, du système, du dispositif de santé tant dans le secteur libéral que salarié, hospitalier au point que tout le monde signe et c’est bien normal une crise sanitaire avant même de parler de sa subséquente crise économique. Elle a ainsi - pour des causes bien identifiées qu’il n’est pas utile ici de rabâcher - déstabilisé l’ensemble des acteurs du système de santé au rang desquels les kinésithérapeutes. Et de fait de surgir ou surgir à nouveau dans les discours, interrogations et autres affirmations, une kirielle de notions peu, mal ou pas réellement, juridiquement calées, mais toutes exprimant d’une certaine façon la nécessaire utilité sociale d’une profession et de ses métiers : Utile ? Nécessaire ? Indispensable ? Urgent ? Important ? Vital ? Prioritaire ? Non reportable ? Essentiel ? …Elle, la SSE, a ainsi touché tous les kinésithérapeutes !
ENTRE PESANTEUR ET APESENTEUR
Qui de nos confrères libéraux qui ont fermé leurs cabinets et pour semble-t-il un grand nombre cessé toute activité y compris au domicile
Qui de nos collègues salariés et hospitaliers d’établissements MCO ou SSR, publics ou privés, qui comme l’explique bien la Présidente du cnomk dans sa lettre de soutien de cette mi-avril ont dû s’adapter aux désarmements massifs des services d’hospitalisations conventionnelles et participer activement à de profondes réorganisations structurelles mais aussi des pratiques professionnelles visant à l’armement de services dédiés CoVid19+ et à l’augmentation-création de services de réanimation et srpr. Tout est compliqué et complexe. Tout est impossible et pourtant tout se fait y compris ce qu’hier on disait infaisable. La crise, dramatique, se révèle un catalyseur d’énergies et de synergies soupçonnées mais trop souvent engluées dans un quotidien diaphane : la perte de sens si souvent évoquée par les professionnels.
LES MAUX DES MOTS & DES CHIFFRES
Une situation de crise exceptionnelle et une réponse ici et là dans l’urgence absolue ou dans la préparation à marche forcée d’un dispositif empreint de médecine de catastrophe et de médecine de guerre.
De très nombreux témoignages de Directeurs des soins, de cadres supérieurs et de cadres rééducateurs ainsi que nos collègues kinésithérapeutes hospitaliers (de CH et CHU ainsi que la plupart des SSR) rapportent qu’ils ont eu à connaitre une période « de flottement, de mise en suspension » : conséquences d’ordres/contre-ordres, de réorganisations entremêlées, d’éventuels décentrages des activités cœur de métier vers des activités plus transverses (soutiens logistiques…) donnant parfois l’impression de ne pas être associés immédiatement aux prises en charge et plus globalement à la gestion de la crise …
La plupart du temps - malgré et au-delà des difficultés de recrutement en « temps de paix » conduisant à un déficit de couverture des postes budgétés - les équipes de rééducation et plus spécifiquement de kinésithérapeutes ont pu globalement absorber la période critique : par redéploiements, mises en réserve ou participation transversales, avec la constitution de plusieurs lignes. Et de ce fait avec un recours très marginal en renforts de collègues libéraux disponibles.
Malgré leurs inscriptions massives (réserve sanitaire, ARS, URPS) beaucoup de ces collègues, en panne et en peine d’activité, ont été freinés dans leur élan de solidarité et leur bien compréhensible souci économique ; une frustration exacerbée par la médiatisation de l’appel à renforts en « personnels médicaux, infirmiers, aides-soignants » et sur la foi de l’énoncé récurent de « 3500 postes non couverts dans les hôpitaux » qui seraient possiblement à couvrir du jour au lendemain.
MYTHE ou REALITE : éléments de réflexion
1) le chiffre de 3500 est énigmatique pour notre organisation : que ce soit les chiffres de l’enquête du CNOMK (12.667 salariés ts secteurs confondus) ou ceux de la DRESS (17453 salariés dont 13972 hospitaliers publics et privés) si on leur applique le « taux global de postes budgétés non pourvus (pbnp) de 15.3 % cela amène soit à 1.800 postes pbnp sur 12.667 ou 2.138 pbnc sur 13.972 voire 2.671 pbnp sur 17.453 chiffre qui concerne bien d’autres établissement que les hôpitaux et SSR ; quel que soit le chiffre réel ( entre 1.800 et 2.371 loin des 3.500) il ne saurait satisfaire tous les milliers de collègues libéraux s’étant portés volontaires pour occuper ces emplois ;
2) nombre d’hôpitaux, comme énoncé plus haut, disposaient de deuxième voire troisième lignes du fait d’activités déprogrammées pour au moins un tiers de leur effectif réel et donc…disposant de « ressources de renforts » en interne ;
3) l’activité requise en kinésithérapie pour les presque 10.000 lits de réanimation et soins intensifs armés face à la pandémie nécessite - à raison de 1 mk pour 10 / 12 lits de réanimation (recommandation SKR) – 1.000 MKS à minima, voire 1000 X 2 = 2.000 MKS car il est recommandé d’être en binôme, et à maxima 1000 X 2,8 = 2.800 MKS pour absorber les jours de repos et autres causes d’absences.
4) Ces 2.800 représentent donc moins de 25% des effectifs hospitaliers ; et les 75% d’effectifs restant assurant les unités post Covid19 et les unités conventionnelles hors CoVid19.
TENDANCE : éléments de sondage express
Un tout premier sondage effectué par le CNKS entre le 8 et 17 avril sur un petit échantillon de 21 établissements au travers de la France du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest (11C H, 7 CHU, 3 SSR) auprès des cadres supérieurs et cadres de rééducation ou directeurs des soins ou DRH nous rapporte sur le sujet « effectifs / renforts » que :
- sur 708.42 postes budgétés
- 624,02 postes sont couverts soit 88,09 %
- ou encore 11,91 % de postes non couverts
- 18,5 postes de « renforts Covid » ont été demandés - et couverts - correspondant à 9 des 18 établissements (dont 9 postes pour un seul et même de ces 9 établissements et donc très peu pour les 8 autres) soit + 2,96 % des postes couverts (624,02) hors SSE
Cette tendance apparente, sur ce faible échantillon, au « non renforcement » reste à confirmer ou non dans le temps, selon les lieux, les phases et les besoins de soins de suite et de réadaptation.
Le Conseil d’administration du CNKS réuni le 10 avril puis son bureau réuni le 15 avril ont souhaité et décidé de mettre en œuvre très prochainement une enquête quantitative et qualitative plus exhaustive.
Par contre dorénavant - dans les suites de la phase aigüe d’hospitalisation - comme nous l’avions indiqué dès les premiers signes et à l’aune de nos contacts avec les collègues des pays touchés avant la France – le CNKS constate et pense que les déficiences et handicaps, temporaires voire permanents, dus au virus et liés à l’hospitalisation sont et seront massifs et mobilisateurs de toutes les énergies de tous les collègues hospitaliers, de SSR et de ville (en cabinet quand cela sera possible ou à domicile) ; ces mobilisations des kinésithérapeutes salariés et libéraux, mais aussi d’autres rééducateurs tels les ergothérapeutes et orthophonistes, s’inscriront vraisemblablement sur une longue période; et comme il l’avait rapidement exprimé le CNKS pense utile que les liaisons, articulations et transmissions doivent être réactivées, renforcées pour que la chaine de soins de rééducation, le parcours, soit fluide et efficient. C’est l’ensemble de la profession et chacun de nos métiers constitutifs qui en sortiront valorisés par les patients mais aussi les tutelles.
Pour le CNKS cette SSE est une opportunité de l’émergence d’une nouvelle et réelle Stratégie Nationale de Réadaptation dans laquelle les Professions Alliées uniraient en parfaite synergie leurs missions, fonctions et rôles. Cette collaboration étroite - coordination des activités et coopérations des acteurs - permettra un meilleur service aux patients, de l’hôpital à la ville et vice versa, et une meilleure qualité de vie au travail pour les dites Professions Alliées.